Accessibilité : la loi Paul Blanc entre en vigueur, les associations continuent leur combat

_250Barbier Jean-Marie.jpgD’ici 2015, tous les lieux recevant du public devraient être accessibles aux personnes handicapées. Telle était la promesse faite par la loi sur le handicap, votée en 2005(1). À quatre ans de l’échéance, pas plus de 15 % des bâtiments sont aux normes. Et c’est la quatrième fois en deux ans que le gouvernement tente de contourner ce principe d’accessibilité universelle.

Via un décret en 2006, annulé par le Conseil d'État en juillet 2009, puis via un article de la loi de finances rectificative, lui-même censuré par le Conseil Constitutionnel fin 2009, le gouvernement souhaitait mettre en place des dérogations au principe d’accessibilité pour les bâtiments publics neufs – dérogations nullement prévues par la loi fondatrice de 2005. Le 1er juin dernier, c’est le Conseil d’État qui a cette fois mis le holà, en annulant un décret publié en 2009 et portant lui aussi sur l’accessibilité.

Le 28 juin dernier était votée définitivement la proposition de loi du sénateur UMP Paul Blanc, destinée à améliorer le fonctionnement des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH)(2), et contenant une nouvelle fois des possibilités de dérogations ou « mesures de substitution ». Et jeudi dernier, rebelote : le Conseil constitutionnel(3) a censuré, au nom de l’ « objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi », l’article 19 de cette loi introduisant des dérogations pour les bâtiments neufs. L’article 20 relatif aux résidences de tourisme a, lui, été jugé conforme à la Constitution par les Sages.

Jean-Marie Barbier, président de l’Association des paralysés de France, revient pour LexTimes.fr sur la décision du Conseil constitutionnel et plus largement sur la question centrale de l’accessibilité pour les handicapés.

LexTimes.fr : Le Conseil constitutionnel a censuré l’article 19 de la loi qui introduisait des « mesures de substitution » au principe d’accessibilité universelle reconnu par la loi de 2005 sur le handicap. Est-ce vraiment une victoire pour vous ?
Jean-Marie Barbier : La victoire ne sera là que lorsqu’on considérera l’accessibilité comme il le faut, c’est–à–dire comme un enjeu, et pas un problème. C’est tout de même une bonne nouvelle, car c’est une démonstration que le Conseil constitutionnel confirme toutes les réserves que l’on peut émettre à ce sujet. J’ai toujours reconnu qu’il y avait un certain nombre de situations dans lesquelles il était impossible pour des raisons exclusivement techniques de faire de l’accessibilité un principe vraiment applicable pour tout le monde. Mais jamais on ne m’a présenté une telle situation, et la rédaction de l’article 19 ouvrait la porte à bien trop d’autres choses, qui sont totalement distinctes de l’esprit avec lequel on a essayé de nous le vendre.
Le législateur appelait ça des « mesures de substitution ». Or ce sont de véritables dérogations. Je ne sais pas quel vocable ils vont trouver maintenant…On rencontre des difficultés à faire comprendre nos positions, on nous qualifie de jusqu’auboutistes, mais de telles « mesures de substitution » auraient été la porte ouverte à beaucoup d’autres dérogations. Par exemple, quand on introduisait la possibilité de déroger à la règle de l’accessibilité pour tous en fonction de l’affectation du bâtiment, c’est-à- dire de sa destination, on ouvrait totalement les vannes : l’objet du bâtiment n’est pas forcément défini à vie. Le risque est qu’on le déclare n’ayant pas besoin d’une accessibilité complète au titre de son affectation et le lendemain, il peut servir à tout autre chose. Et là le manque d’accessibilité devient une gêne pour tout le monde. En fait, on « tourne autour d’un pot » où il y a un certain nombre de personnes qui voudraient assouplir au maximum l’accessibilité.


Pensez-vous que le gouvernement ira jusqu’au bout ? C’est la quatrième fois en deux ans qu’il essaie d’introduire des dispositions dérogeant au principe d’accessibilité universelle, en vain. En même temps, l’article 19 n’a été censuré qu’au nom de l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi(4), ce qui n’empêche absolument pas que soient adoptées d’autres dispositions ayant le même objet.
Oui. Je ne sais pas combien d’échecs il leur faudra avant de reconsidérer les choses sous un autre angle. Il y a derrière tout cela des lobbies bien plus puissants que notre association qui arrivent à se faire entendre Mais c’est vrai aussi que dans le cadre du rapport Doligé et de la réforme des normes, le gouvernement va revenir sur ces propositions à l’automne, cette fois concernant le bâti ancien. Quand M. Doligé a remis son rapport au président de la République, M. Sarkozy lui a dit « faites-moi une loi pour octobre ». Il se prépare donc les mêmes choses avec, au passage, une redéfinition de l’accessibilité. Le principe, tel que prévu par la loi de 2005 signifie rendre accessible à tout un chacun de façon libre et autonome l’ensemble des biens et des services. Maintenant, chaque établissement qui fournit des biens et des services devra les fournir à tout le monde : cela signifie qu’on viendra vous servir sur le trottoir, qu’il n’y aura peut-être pas de guichet, que peut-être vous ne pourrez pas passer par l’entrée principale mais par le local à poubelles….

Qu’en est-il du coût de l’accessibilité ?
Alors qu’on est dans une société qui vieillit, on nous fait le grand tralala sur le coût de l’accessibilité... Si on ne rend pas les logements accessibles, des personnes âgées dont l’état s’aggrave devront trouver d’autres solutions que d’être logées chez elles, avec tous les coûts que cela peut engendrer pour la collectivité en général. On a donc intérêt à bien prendre le problème à la base.
Sur l’histoire des coûts, tout dépend de qui on rencontre : on a par exemple une mission de l’Igas qui est venue discuter avec nous dans ce cadre et qui nous a dit « mais vous avez parfaitement raison : si on se borne à l’aspect du coût, cela ne tient pas la route une seconde… » Mais le gouvernement ne parle que des surcoûts que cela provoque.
Or ces coûts sont clairement établis dans plusieurs rapports de la Banque Mondiale : rendre accessibles des lieux -si on se cultive sur ces sujets-là et qu’enfin on intègre les techniques nécessaires - ne peut pas représenter plus de 1 % du prix de la construction. C’est donc sans aucun rapport avec les dépenses que l’on consent au nom du développement durable…Le problème c’est qu’on continue, dans notre pays, à prendre le sujet du handicap comme un sujet secondaire, qui certes est décrit par un texte de loi mais avec lequel on peut prendre un certain nombre de libertés.. C’est un sujet qui reste traité à part et ça on ne peut pas l’accepter.


Outre l’article 19, que pensez-vous des autres dispositions de la loi Paul Blanc ?
Sur les dispositions qui traitent soit de l’emploi, soit de l’amélioration du fonctionnent des maisons départementales, il y a beaucoup de choses positives. Ce sont de véritables avancées, même si l’on n’a pas obtenu tout ce qu’il fallait. Mais le vrai problème se situe au niveau des deux amendements sur l’accessibilité, qui ont été ajoutés. L’article 19 a effectivement été censuré mais l’article 20, qui était également soumis au Conseil n’a pas été déclaré inconstitutionnel, dans la mesure où le législateur opère un renvoi au pourvoir réglementaire pour fixer notamment les « exigences relatives à l’accessibilité ». Or il y a de fortes chances pour que les décrets soient à nouveau censurés, puisque l’angle d’attaque est très mauvais. On revient à une logique de quotas, de pourcentages de lieux qui sont accessibles, ce qui est inacceptable sur le fond et sur la forme.
Cela fait 30 ans que l’on se propose de faire des cours sur l’accessibilité dans les écoles d’architecture… aujourd’hui c’est dans les programmes mais cela n’avance pas beaucoup. À la dernière conférence nationale des handicaps le 8 juin dernier, le représentant des architectes qui avait été en plus choisi pour sa « bonne vision » du handicap a quand même qualifié la réglementation sur l’accessibilité de « carcan ».Ce n’est pas comme cela qu’on y arrive.


En réaction à ces remises en cause du principe d’accessibilité, vous avez lancé une pétition et organisé une journée nationale d’action intitulées « Des bâtons dans les roues » le 27 septembre. Qu’en attendez-vous ?
On a lancé cette pétition il y a un mois et on en est à 25 000 signatures en plein été. Cela mobilise donc bien au-delà de l’APF. Sur le site, nous avons également la démarche de désigner les parlementaires qui sont pour ou contre l’accessibilité universelle. Que des parlementaires de l’opposition disent qu’ils sont d’accord avec nous, disons que ça fait partie du jeu. Mais il ya aussi un certain nombre de parlementaires de la majorité qui le disent aussi. C’est réconfortant. C’est aussi l’illustration claire que le sujet n’est pas aussi simple que ce qu’on voudrait nous faire croire.
On voudrait également faire comprendre que l’accessibilité est un enjeu économique fort et un enjeu sociétal que personne ne veut entendre. Le rapport de la Banque Mondiale qui dit que l’accessibilité représente 1 % du prix de la construction – si on se donne les moyens d’intégrer un certain nombres de techniques qu’on n’a jamais voulu aborder en France- retient également qu’il y a de 10 à 20% de touristes en moins du fait de l’inaccessibilité de notre pays. Or faut-il rappeler que la France est un des pays les plus touristiques au monde…
Mais ce qui est désolant dans ces remises en cause, c’est qu’il y a quand même beaucoup de personnes qui sont de bonne volonté par rapport à l’accessibilité et qui ont décidé de s’y mettre. Et à l’arrivée, si on permet certaines dérogations, toutes ces personnes vont se sentir flouées…C’est très frustrant, cela ne peut pas faire avancer la cause. Encore une fois, il faut que tout le monde considère maintenant que l’accessibilité est un enjeu et pas une contrainte.

_____
(1) L. n° 2005-102 du 11 fév. 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, J.O. n° 36, 12 fév. 2005, p. 2353.
(2) L. n° 2011-901 du 28 juill. 2011 tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap, J.O. n° 175, 30 juill. 2011, p. 12996.
(3) Cons. constit, 28 juill. 2011, n° 2011-639 DC relative à la loi tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap.
(4) « Le législateur n'a pas précisément défini l'objet des règles qui doivent être prises par le pouvoir réglementaire pour assurer l'accessibilité aux bâtiments et parties de bâtiments nouveaux » (considérant 10 in fine).

Vu sur Lextimes.fr

Les commentaires sont fermés.