LE MONDE | 18.11.08 | 16h37
Quand il fait des candidatures spontanées auprès d'entreprises, il ne parle jamais de son handicap. "Souvent, les directeurs de ressources humaines ne sont pas formés à la question, ils pourraient s'imaginer un handicap très lourd", explique Nordine Attar, 36 ans, qui souffre d'une allergie à la farine qui l'a obligé à quitter son emploi de boulanger. Nul besoin de cacher son invalidité aujourd'hui, au contraire : en participant, le 17 novembre, à Paris, à un Handicafé, un forum pour l'emploi qui réunit une centaine de personnes handicapées et de recruteurs, Nordine peut s'adresser à des entreprises sans craindre d'être évincé à cause de son handicap.
Organisés par l'Association pour l'insertion locale et professionnelle des personnes handicapées (Adapt), dans le cadre de la 12e Semaine pour l'emploi des personnes handicapées, qui se tient jusqu'au 23 novembre, les Handicafés tentent de faire tomber les barrières qui empêchent encore les handicapés d'accéder à un emploi. En France, 27 % des sociétés de plus de 20 salariés n'emploient aucune personne handicapée alors que la loi leur en fait l'obligation depuis vingt ans.
La quasi-totalité de ces sociétés sont des petites et moyennes entreprises. Or refuser d'embaucher des personnes handicapées leur coûtera, à partir du 1er janvier 2010, une amende qui pourra représenter jusqu'à l'équivalent d'un smic par tranche de 20 salariés.
Depuis le début de l'année, les 27 000 récalcitrantes sont toutes visitées, une à une, par un cabinet d'audit qui leur fait une proposition d'action. "Il s'agit de leur montrer que recruter une personne handicapée est possible dans leur entreprise, explique Tanguy du Chéné, président de l'Association de gestion des fonds pour l'insertion des personnes handicapée (Agefiph). Les a priori sont plus compliqués à gérer dans les petites entreprises que dans les grandes, il faut pouvoir les accompagner."
Les préjugés ont encore la vie dure : Caroline Bernard, qui se déplace en fauteuil roulant, garde un souvenir cuisant de ses premières recherches d'emploi. Fraîchement diplômée d'un Master 2 en marketing, elle s'est déjà fait raccrocher au nez quand elle demandait aux entreprises si elles étaient accessibles pour elle. En contrat de professionnalisation dans une société de commerce équitable, elle a été empêchée de se rendre sur un Salon professionnel : "Ma patronne m'a carrément dit : un fauteuil, c'est pas commercial", explique la jeune femme avec amertume.
"Dans les petites entreprises, le préjugé le plus commun, c'est que cela va coûter plus cher à la société que cela ne lui rapporte", fait valoir Laurent Cocquebert, directeur général de l'Adapt. Pourtant, une fois le premier pas franchi, 93 % des recruteurs sont satisfaits après l'embauche d'une personne handicapée, selon un sondage Louis Harris réalisé pour l'Adapt. "Les personnes handicapées sont motivées, moins absentes que les valides, et mettent une excellente ambiance dans les équipes en remettant en perspective les petits problèmes des uns et des autres, explique Georges Riffart, président de l'Adapt. Les recruteurs sont souvent satisfaits de la grande maturité et de la solidité des candidatures présentées."
VÉCU COMME UN ACTE CITOYEN
De fait, loin de toute démarche compassionnelle, l'intégration des personnes handicapées est presque devenue une banalité dans les grands groupes. Autant par souci de prestige que pour satisfaire à leur obligation d'emploi, les marques de renom se bousculent aux manifestations comme l'Handicafé. "Dans les équipes, les salariés sont très volontaires pour intégrer les personnes handicapées, affirme Fabienne Lamour, responsable emploi-formation chez Areva. Il y a une vraie ouverture d'esprit, c'est vécu comme un acte citoyen."
Face à elle, Sabrina Sisambat, 23 ans, malentendante, se fait aider d'une interprète en langue des signes pour faire valoir ses compétences d'assistante de gestion. Elle a travaillé chez Agnès B, où elle traitait les pièces comptables de deux équipes. "Je travaillais seule et on me faisait confiance, je ne faisais pas d'erreurs", affirme-t-elle. Elle explique qu'elle lit sur les lèvres et qu'elle communique par mail avec ses supérieurs. Fabienne Lamour paraît accrochée : "Votre profil nous intéresse, lui dit-elle en tendant sa carte. J'espère vous recontacter d'ici quinze jours." La moitié des visiteurs des Handicafés trouvent un emploi définitif.
Cécile Prieur
Sur Internet : www.semaine-emploi-handicap.com.
Crédit photo : AFP/OLIVIER LABAN-MATTEI