Ce matin là, quand je suis arrivée chez Béchir, toute la famille m’attendait avec un sourire encore plus large que d’habitude ! C’était un jour important, B. et ses 3 grandes sœurs de 6, 8 et 10 ans trépignaient d’impatience, c’était un jour qu’ils attendaient, on allait à la LUDOTHEQUE !!!!!
Flashback :
Béchir a 4 ans. Il est scolarisé depuis Janvier 2011 dans une CLIS maternelle, en fait dans la seule CLIS maternelle de l’Essonne, qui soit spécialisée dans la scolarisation des enfants qui présentent un handicap moteur. Il est accompagné, lui et sa famille par le SESSD APF d’Evry où j’exerce en tant qu’orthophoniste.
Une CLIS (2002-113 du 30 Avril 2002) est un dispositif qui a la fonction d’aider l’école à accueillir les enfants qui, devant certaines situations sont en difficulté. Ce dispositif est composé d’un espace et d’un enseignant spécialisé. Il a été créé afin que l’enfant, inclus dans une classe ordinaire, puisse avoir un lieu où revoir des points pour lesquels il a eu des difficultés.
Toutes les écoles ne sont pas dotées de CLIS et donc les enfants, classés par pathologie, sont acheminés par des taxis dans les quelques écoles du territoire qui possèdent ce dispositif. CLIS pour maternelle et primaire, ULIS pour collège et enseignement supérieur.
Bien souvent, et c’est les cas pour Béchir, les enfants orientés vers les écoles possédant des CLIS par la MDPH ne sont pas, en réalité inclus dans les classes ordinaires de l’école, dans leur groupe d’âge. Ils sont physiquement dans une classe avec les autres enfants en difficultés. Leur seule maitresse est l’enseignante spécialisée (ou pas). Si on demande aux enfants en quelle classe ils sont, ils disent « en CLIS », ils ne se réfèrent pas à la classe qu’on fréquente en fonction de leur âge et où ils devraient en fait être inscrits.
Béchir est donc physiquement dans une CLIS, toute la matinée, il rejoint les camarades des autres classes pendant la récréation. Dans la cour, il commence à peine à se déplacer avec une flèche. L’an dernier, il n’avait pas la force de se déplacer. Il était donc difficile, pour lui, de rencontrer des enfants des autres classes qui en général font des jeux de mouvement. De surcroît il était peu intelligible, sa voix portait très peu. Difficile donc de communiquer avec d’autres enfants dans le brouhaha de la cour. Il préférait donc rester en classe. La programmation scolaire ne prévoyait pas qu’il participe aux autres moments d’inclusion : chorale et cantine. La communication verbale était difficile avec ses compagnons de classe, peu nombreux, avec des troubles de langage associés. Il pouvait acquérir de bonnes propriétés de langage grâce aux riches stimulations de l’enseignant mais il manquait l’occasion pour utiliser ce langage dans la COMUNICATION ENTRE PAIRS.
Mon choix de thérapeute, accepté avec enthousiasme par la famille et encouragé par la politique du Service, a été de ne pas faire un double, en proposant une situation frontale avec l’adulte, situation de stimulation amplement proposée à l’école, mais de mettre l’enfant en situation écologique, au milieu de ses pairs, dans son quartier.
La ludothèque de Viry Chatillon m’a semblé le cadre idéal pour actualiser le projet : « Tu joues avec moi ? » que j’ai présenté à la directrice de la ludothèque. Ce projet consistait à former un petit atelier de langage avec des enfants fréquentant la ludothèque le mercredi matin. La responsable a été très accueillante mais le déménagement concomitant avec la date du projet n’a pas permis de le structurer pour le moment.
La date d’ouverture des nouveaux locaux de la ludothèque est donc arrivée. Toute la famille de B. est allée à l’inauguration pour l’inscription et a été accueillie très chaleureusement par toute l’équipe.
Nous revenons donc à notre première séance à la ludothèque. Le projet, disais-je, n’est pas structuré avec un groupe fixe d’enfants mais la séance d’orthophonie du mercredi aura lieu en milieu écologique !
B. est donc entré dans la Ludothèque à bord de sa « flèche » (petit tricycle sans pédales) et nous avons exploré les lieux. Chacune des sœurs a choisi une aire de jeu. B .a voulu monter à bord d’une petite voiture, une petite fille est montée à ses côtés. Mon rôle a été au début, de catalyseur dans l’échange verbal entre les enfants. En effet, B. a une bonne compréhension du langage, il a un bon bagage lexical mais il n’utilise pas ses acquis. Il est gêné par une dysarthrie liée à la pathologie, ses muscles n’ont pas la force nécessaire au maintien d’une posture correcte de la tête qui reste penchée en avant et le volume de la voix reste faible. En famille, il indique plus qu’il ne parle quand il désire quelque chose, ce qui requiert moins d’effort.
B. s’est ensuite dirigé vers une petite maison et plus exactement dans la cuisine. Il adore faire à manger et jouer à la dinette. Là une petite fille est entrée en interaction avec lui. Il a voulu enfourcher une moto pour aller faire les courses. Des filles un peu plus grandes jouaient à la marchande. Le stand étant en hauteur, B. a pu maintenir une posture plus correcte pendant qu’il faisait sa commande. Il était obligé de maintenir un volume de la voix assez haut et de bien articuler pour se faire entendre.
Le travail technique sur la posture, la voix, l’articulation a donc été réalisé dans un moment ludique, de partage, de communication, de rencontre avec les enfants du quartier.
La famille connaît maintenant une autre adresse du quartier où elle sait être reçue chaleureusement.
Lors de la séance suivante, à l’école, les premiers mots de Béchir ont été : Mercredi on va à la Ludothèque ?
Sylviane Juglair, Orthophoniste au SESSD d’Evry